[Quelques jours avant l’équinoxe d’automne…]
Le soleil disparait derrière le massif montagneux et peint magnifiquement le ciel de couleurs pastelles. L’air se fait frisquet tandis qu’un clair de lune brille sur les flots argentés du Saint-Laurent. Il fait 4,6 ∞C. « Brrrr ! La nuit s’annonce froide. » ai-je grelotté. « D’après moi ça va geler cette nuit. » Je jette un dernier regard vers l’horizon crépusculaire puis je me dirige vers L’Éden de Charlevoix, cette serre nordique quatre saisons dont j’ai eu la chance unique de créer en 2018.
J’ouvre la première porte et je me retrouve dans le portique de cèdre. Cette zone fait la transition entre l’air intérieur chaleureux et l’air extérieur glacial. J’allume les lumières, je franchis la seconde porte puis j’aboutis dans un environnement où, malgré la fraicheur extérieure, la température s’élève toujours à 20,5 ∞C. Voilà que je suis plongé dans un milieu luxuriant gorgé d’humidité où se dresse encore de nombreux concombres grimpants, kales dinosaures, laitues romaines, piments forts, fleurs de toutes sortes et même… un théier, un pêcher, des figuiers, plusieurs variétés d’agrumes et de nombreux bananiers ! Pourtant, je me trouve dans une serre pratiquement non chauffée localisée à 530 mètres d’altitude en contrée charlevoisienne; là où le climat se fait hostile, là où l’hiver se fait rigoureux. Je respire pleinement l’air exotique et je me promène entre les végétaux qui semblent oublier que sans cette serre, cela ferait bien longtemps qu’ils seraient morts gelés.
Né d’un rêve d’autosuffisance et inspiré d’un stage que j’ai effectué au Colorado en 2016, j’ai conçu et réalisé L’Éden avec l’objectif de reproduire un écosystème subtropical avec le moins de chauffage possible. Inspiré par le mouvement des serres solaires passives des années 1970, le design intègre ces principes d’antan: une orientation sud de la serre, une isolation du mur nord et une utilisation de masses thermiques. Ces éléments de conception sont relativement simples, mais ils améliorent grandement le gain solaire et la conservation de cette précieuse énergie. Combiné à ces éléments de design, un système de batterie climatique permet de recycler la chaleur excédentaire en la faisant circuler dans le sol afin de réchauffer la terre. La masse thermique qu’est le sol emmagasine ainsi cette chaleur pour les mois d’hiver à venir. Peu couteux, ce système permet d’accroitre davantage la performance énergétique de la serre, réduisant dès lors les besoins en chauffage externe.
L’Éden est gage d’espoir, car ce projet pilote nous prouve qu’il est possible de cultiver des aliments diversifiés (même exotiques!) tout au long de l’année avec une empreinte énergétique réduite. Toutefois, il ne faut pas se leurrer: l’autarcie alimentaire en climat nordique est un long processus parsemé de défis qui exige expertise, travail et persévérance. Car si nous voulons bâtir un Québec résilient, il est primordial d’investir dans les connaissances et les infrastructures nécessaires pour parvenir à une agriculture locale et durable. Cela ne se fera pas du jour au lendemain alors mieux vaut s’y préparer dès maintenant.
Imaginez quelques instants si chaque école ou chaque municipalité était dotée d’une serre nordique publique similaire à L’Éden. Nous pourrions dès lors outiller la population à développer des compétences horticoles adéquates qui seront très utiles pour l’avenir incertain qui nous guette. L’éducation environnementale est la clé du changement. Et je crois sincèrement que ce type d’infrastructure est le lieu idéal pour stimuler l’intérêt des jeunes afin de s’investir avec positivisme dans la création de solutions innovantes pour répondre aux problématiques environnementales actuelles.
Et malgré les défis qu’impose l’autonomie alimentaire, je crois que c’est par ce désir collectif d’autosuffisance qu’il nous sera possible d’épandre le terreau propice à la création d’un Québec résilient et florissant. Alors, n’attendons plus et cultivons l’espérance d’un monde meilleur pour la jeunesse à venir… une serre à la fois !
